Chaosphere

Samedi 19 juin 2010 à 17:16

Why in the world are we here,
Surely not to live in pain and fear,
Why on earth are you there,
When you're ev'rywhere,
Come and get your share.

[ Instant Karma - John Lennon ]

http://chaosphere.cowblog.fr/images/knittingcnsbydeathofrats.jpg    Je me souviens parfaitement de l'enterrement de mon arrière-grand-mère. Je n'étais pas triste : elle était morte âgée, là où elle le désirait, apaisée. Avec elle se sont envolé des années d'enfance, à la regarder en train de tricoter tout en discutant avec quelqu'un où en regardant la télé, le choix ardu d'un carré de chocolat aux noisettes - mais sans raisin sec, la chasse aux bogues dans le jardin. Maintenant une nouvelle famille habite son ancienne maison. De nouveaux cris, de nouveaux jeux. La panthère blanche qui me fascinait est allée chez ma tante. A l'époque, je n'ai pas pensé à récupérer son matériel de tricot. Trop jeune, je n'en faisais pas encore.
    Je me souviens de l'enterrement. Je me souviens de deux tâches de couleurs. Mon pull, rouge - je n'avais rien à mettre cet hiver là, pas un seul pull, et ma mère m'a offert l'un des siens, un pull au col large, tricoté dans une laine rouge, aussi rouge que du sang ou une rose. Cette rose, jaune et orange, ce "sphinx" que j'avais spécialement acheté, au milieu de toutes les roses blanches et rouges. Je n'ai pas pleuré. Je ne pleure pas aux enterrements. J'avais envie de sourire, plutôt. Elle était morte comme elle le désirait, elle allait rejoindre son mari - un homme que je n'ai pas eu la chance de connaître. Pourquoi pleurer ? 

   J'ai appris le tricot un ou deux ans plus tard, avec ma grand mère. En est sorti deux écharpes. Une pour mon doudou (un lion en peluche - parce que oui, il fallait que je commence dans la vie avec un lion et un serpent. Je souris.) et une pour moi, dont je n'ai jamais rentré les fils, avec des couleurs passablement immondes, mais que je pense mettre cet hiver tellement elle est étrange. J'ai conservé les aiguilles, deux vieilles paires de ma grand-mère. Une paire bâtarde, composée d'aiguilles de tailles différentes (3 et 3,5), et une paire d'aiguilles de 5, toutes les deux en métal. Elles ont dormi dans mon meuble à clapet pendant un sacré moment ... Elles sont ressorties récemment, depuis deux ou trois semaines.

   J'ai maintenant quelques créations de réalisées : deux écharpes (une tricotée aux doigts - nommée Aether -, cadeau pour mon ange ; l'autre, tricotée au point mousse - Water Link -, réalisée pour Maya), une pochette dans laquelle se loge mon tarot Mage, une mitaine (l'autre est en cours de tricotage hihi). En cours, un col et ... hé bien la deuxième mitaine. En projet, de nombreuses idées, du bonnet poisson au col chouette, en passant par l'écharpe rayée.
   Depuis que je me suis remise au tricot, j'ai régulièrement entendu des réflexions par rapport à mon arrière grand-mère. Ce matin, le "Mémé te verrai en train de râler comme ça contre tes aiguilles, elle rigolerai bien j'en suis sûr !" de mon père (je venais de me surprendre à faire le mauvais point de tricot :'D), ou les réflexions sur le fait qu'elle serait ravie de me voir aller là où elle achetait sa laine, accompagné d'un "je suis sûre qu'elle t'accompagne quand tu y vas !" de ma tante (il faut préciser, donc, qu'il y a une mercerie dans mon village, mercerie où se fournissait mon arrière-grand-mère, ainsi que ma tante, puis moi-même). Il faut tout de même savoir que la famille n'est pas versé dans la spiritualité et à plutôt une tendance agnostique-athéiste prononcée qui accompagne l'anti-cléricalisme républicain fortement ancré depuis un sacré paquet de temps (entre les libres-penseurs et les instituteurs, on ne sait plus trop où donner de la tête).

   Pour sûr, je ne tricote pas la même chose qu'elle. Mais il y a quelque chose de magique dans le fait d'avoir ce lien qui se tisse, qui se tricote, justement, entre nous deux. J'ai toujours beaucoup admiré mon arrière-grand-mère. Un sacré caractère, tout de même, pour avoir réussi à convaincre son médecin de la laisser chez elle. Dans son lit. Là où elle voulait s'éteindre. Et en même temps avoir patienté, patienté, comprendre que la mort venait, mais s'être battue jusqu'au bout pour voir tout le monde et leur dire au revoir au moins une dernière fois.
   Tricoter, laisser les aiguilles cliqueter (parce que je tricote avec du métal ou du plastique - oui, je suis une vile fille qui ne tricote pas avec du bois équitable. Si vous me les offrez, je veux bien changer d'avis, mais pour le moment, 8€ la paire d'aiguilles droites, je dis "niet" -_-), voir la laine se tordre et former lentement, peu à peu, ce que vous désirez porter. Ca aussi, c'est une forme de magie et d'hommage.

   Qui sait si j'aurais un jour tricoté sans l'image de cette femme en train de tricoter tout en discutant, sans les écharpes et les gilets qui nous couvraient, plus jeunes. 

    Celui que j'ai conservé est rouge. Rouge, comme une rose ou comme du sang.
    Rouge comme ce pull que j'ai mis pour ton enterrement.
    Parce que je partage ton sang et que ta mémoire sera toujours dans mes veines et dans mon coeur.
 
Artwork : knitting cns par Deathofrats
 
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